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La relation chorale-orgue

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Comment résoudre le « pratico-pratique » pour arriver au spirituel

Quel chef de chœur, même de la chorale la plus modeste, ne s’est pas trouvé, à un moment ou un autre, confronté avec un problème de communication avec l’orgue au cours de la messe ? Lorsqu’il s’agit d’être vu ou correctement entendu, dans un sens ou dans l’autre, le chef de chœur ou l’organiste, voire le prêtre lui-même, rencontrent toujours des difficultés. Il s’agit de questions pratiques, mais nous allons voir que cela a des répercussions non négligeables sur la participation des musiciens à la messe en tant que fidèles, ce qu’ils sont avant tout !

Les trois grandes catégories de problèmes sont : la difficulté pour l’organiste de voir la direction, l’écoute mutuelle de l’orgue et de la chorale, la communication entre le chef de chœur et l’organiste. Nous allons voir que les solutions ne sont pas là où on croit les trouver.

On constate que les mauvaises solutions sont plus souvent retenues que les bonnes. Pourquoi ? Parce qu’elles sont plus faciles à mettre en œuvre. Résultat : les musiciens sont plus absorbés par des tâches complexes, ce qui ne les aide sûrement pas à se placer dans une démarche spirituelle.

Il ne faut pas faire l’économie d’une question très pertinente : « Et  avant, comment faisait-on ? ». Comment  les chanteurs et l’organiste se synchronisaient-ils à l’époque où il n’y avait ni micro, ni caméra ? Comment accepter que la liturgie, aujourd’hui, soit devenue esclave de la technologie ?

La question, pour nous aujourd’hui, c’est de transposer les solutions anciennes aux usages liturgiques actuels. Ce n’est pas simple ! Il faudrait revenir sur certaines habitudes néfastes qu’a entraîné la technologie : chanter sans puissance vocale, compter sur l’organiste pour soutenir tout le chant, répondre au prêtre (dans les dialogues chantés) en attendant que ce soit le voisin qui commence… Il faudrait aussi retrouver le goût et l’audace de chanter de belles choses qui suscitent l’enthousiasme des chanteurs… mais c’est un autre débat.

Le problème de fond induit par ces nombreuses petites difficultés sans solutions, couplé au problème de la routine vocale, c’est que les chorales chantent souvent sans passion, et que les fidèles suivent le chant sans aucun appétit, juste parce qu’il faut chanter. Les musiciens sont aux prises à la fois avec des problèmes de communication, d’acoustique, et de motivation. Pour compenser cela, on met souvent en places des solutions techniques censées donner plus d’aisance aux uns et aux autres : plus de micros, plus de haut-parleurs, une nouvelle sono, une caméra, et pourquoi pas l’échange de SMS avec l’organiste… et l’on pense que ça va aller beaucoup mieux ainsi.
Les préoccupations techniques deviennent alors plus lourdes, et la magnifique table de mixage de la sacristie devient encore plus protégée que le Saint-Sacrement lui-même ! Effleurer un potentiomètre fait encourir les foudres du curé bien plus que laisser le calice manipulé par n’importe qui… Vanité des vanités…

Evolution des usages et conséquences

Finalement les difficultés de communication entre l’orgue et la chorale s’enracinent dans deux dispositions nouvelles apparues dans le milieu du XXe siècle : l’apparition d’une grande quantité de chants d’assemblée et l’accompagnement de la chorale par l’orgue  qui est souvent très éloigné (les chantres d’autrefois étaient accompagnés par des instrumentistes placés parmi eux).

De nombreux chants sont apparus dans le sillage du Concile Vatican II, lorsqu’on s’est convaincu qu’il fallait que les fidèles participent à l’intégralité des chants (ce qui est une exagération), et qu’il fallait aussi remplacer les répertoires anciens par du neuf, en éliminant tout le latin (chose qui n’a jamais été demandée, qui était impossible, et dont l’exécution forcée a laissé des lacunes gigantesques). De ce fait, immanquablement, il est devenu nécessaire de réaliser un programme complexe car le choix des chants de foule reste un casse-tête : il faut les renouveler chaque dimanche, mais en même temps on fait très vite le tour du répertoire paroissial qui assez restreint. De plus on a souvent mis en place une « équipe de liturgie » dont le souci démocratique conduit à des réunions qui, en certains lieux, peuvent durer plus que la messe elle même, pour à peine 10 mn. de chant effectif… il y a de quoi décourager les bonnes volontés.

L’accompagnement de la chorale par l’orgue est donc venu de l’élimination des chantres, qui étaient accompagnés par un violoncelliste, un contrebassiste, et un joueur d’ophicléide ; tous étaient dans le chœur, et ils n’avaient donc pas de problème de communication. Mais aujourd’hui on compte soit sur l’orgue de chœur (c’est la meilleure solution) soit  sur l’orgue de la tribune : et c’est là que les problèmes commencent.

Ils s’amplifient si, de plus, on utilise quelques instruments. Tout ce monde cherche à communiquer, à se voir, à s’entendre. Et il faut bien le dire, c’est un bazar inextricable, entre le câblage qui traîne, les micros sans fil aux transmissions instables, l’acoustique qui s’en mêle, et l’organiste qui n’entend pas grand-chose et s’en sort avec de la chance…

Difficultés et lassitude, les ennemies de la spiritualité liturgique

Mais le problème est plus sérieux qu’il n’en a l’air. Bien des chefs de chœurs, choristes et musiciens finissent par vivre la messe comme un défi à relever, où la part technologique devient trop pesante (Est-ce que le micro est bien placé ? Est-ce qu’on entend suffisamment ? Est-ce que la pile du micro sans fil a été changée ? Etc, etc). Ces considérations sont véritablement une pollution mentale ; chaque artiste ne devrait avoir que deux préoccupations : avoir un programme au point, et une voix bien posée. Si les difficultés sont simples, le musicien peut alors pratiquer son art sans sortir mentalement de la liturgie, et ainsi être véritablement impliqué dans son ministère liturgique. Sa prière réside alors dans l’exercice de son art (cf. Ecclésiaste 38,34). Mais s’il lui faut se préoccuper de problèmes de communication avec l’organiste, si cela a une répercussion sur sa concentration et son aisance musicale, alors il « est ailleurs ». Certains peuvent éprouver l’envie d’assister tranquillement à une messe où il seraient de simples fidèles ! Quand on en arrive là, c’est que quelque chose ne va pas, et ce quelque chose est souvent d’ordre strictement fonctionnel.

Pour retrouver de la sérénité, il ne suffit pas de se libérer de la technologie, il faut surtout que le programme musical de la messe soit prêt à l’avance. Le préparer trois jours avant est une bonne chose. Mais un délai d’une semaine est préférable. A l’inverse donner des directives musicales cinq minutes avant la messe est une absurdité qui conduit à une ambiance tendue durant toute la messe. Une telle impréparation doit être combattue, en premier lieu par le curé de la paroisse.

Pour gagner en dynamisme on aura avantage à ne pas chercher à ce que tous chantent et jouent ensemble tout le temps. Les possibilités pour l’organiste de jouer seul, ou pour la chorale de chanter seule ne sont pas rares. Cela fait ressortir les rôles de chacun, cela donne une structuration sonore de l’espace, donne une dimensions spatiale à la musique sacrée. Et cela fait autant de soucis de synchronisation en moins.

On gagnera par exemple à chanter le Gloria et le Credo en alternance chœur / foule, et l’organiste n’aura plus de problème s’il respecte les points suivants :
– il évite de doubler la mélodie lorsque le chœur chante seul
– il suit l’alternance chœur / foule en alternant entre les clavier grand-orgue et récit.
Cette méthode est utilisable aussi pour le Kyrie et l’Agnus Dei.
Certes le principe de l’alternance a été critiqué, car il nuirait à la « participation active » des fidèles. Or en aucun cas celle-ci n’a été empêchée par le chant en alternance.

Varier au cours d’une même messe la manière d’associer les fidèles, la chorale et l’orgue, c’est aussi un moyen d’éviter la routine musicale qui peut lasser tout le monde. Pour les chanteurs et l’organiste, un programme ainsi diversifié permet de vivre la liturgie chacun dans son rôle, et d’éprouver à la fin de la messe le sentiment d’avoir mené à bien une mission bien remplie. Parfois trop, dans certains cas, mais cela vaut mieux que l’inverse.
On ne peut pas servir deux maîtres : Dieu et la technologie.

Ainsi, par des moyens simples, la relation entre l’orgue et la chorale peuvent être purgés des contraintes technologiques et de la routine. C’est – expérience à l’appui – une quasi délivrance, une bouffée d’air pur. La pratique musicale liturgique retrouve son sens, sa logique, se réoriente vers l’essentiel : être un service invisible de l’autel pour la gloire de Dieu et le salut des hommes. Ainsi vécu, les musiciens peuvent rendre grâce à Dieu de l’avoir bien servi pendant la messe qui vient d’être célébrée. Ils gouttent alors d’autant mieux la sérénité d’une action de grâces authentique à la fin de la messe, tandis que l’organiste donne libre cours à son art, puis ensuite dans le silence qui suit, où la simple présence du Christ au tabernacle suffit au musicien.