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Le chant grégorien – L’Abbaye de Solesmes

L’origine de l’Abbaye de Solesmes est un prieuré fondé au XIe s. En 1833 l’Abbé Prosper Guéranger installe une communauté dans les bâtiments, et obtient de Rome le rétablissement de l’ordre des bénédictins en 1837. Cette fondation se fit dans un contexte annonciateur de changement.

En effet le désir d’un retour au chant grégorien originel a commencé à se faire jour en Allemagne, mais aussi en France avec Alexandre-Etienne Choron qui réfute, au tout début du XIXe s. l’entrisme du style lyrique dans la musique sacrée, réorganise les maîtrises de petits chanteurs et fonde l’Institution royale de musique classique et religieuse.

Dom Guéranger lance la restauration du chant grégorien en 1856. Cette impulsion suscite un Congrès pour la restauration du plain-chant et de la musique d’Eglise, qui se tient à Paris en 1860. C’était véritablement du jamais vu.

Abraham-Louis Niedermeyer, musicien d’origine suisse, prend la suite de Choron, et réussit au point que l’Institution prit le nom d’Ecole Niedermeyer. Il entretient l’enseignement de son prédécesseur selon lequel l’accompagnement du chant grégorien doit être strictement modal. Fort de ce principe, en 1878 il produit un nouvel accompagnement du propre et de l’ordinaire dans un style vertical et rayonnant qui fut aussitôt adopté à Notre-Dame (et transmis jusqu’à Pierre Cochereau).

En 1883 l’Abbaye de Solesmes produit le « Liber Gradualis » écrit par Dom Pothier avec une notation carrée renouvelée, qui contient les chants de toute l’année liturgique. De nombreuses nouvelles éditions verront le jour au cours de la première moitié du XXe s.

Mais Gambetta et Jules Ferry expulsent brutalement tous les moines de France ! C’est un fait qui est passé sous silence dans les manuels scolaires (du moins ce qu’il en reste !), afin de ne pas écorner l’aura quasi magique des ces personnages historiques, qui ont bel et bien agi avec une brutalité qui ne serait même pas imaginable de nos jours. Beaucoup d’abbayes sont fermées, les moines et moniales fuient vers les pays frontaliers. L’Abbaye de Solesmes est à nouveau fermée. Il faut attendre 1895 pour qu’un moine en obtienne la réouverture.

A partir de 1889 Dom Mocquereau devient l’artisan principal des recherches, en fondant une série de publication intitulées « Paléographie musicale ».

Mais une nouvelle loi, celle de 1901, expulse les derniers moines de France. L’Abbaye de Solesmes ferme pour la troisième fois ! Les moines émigrent en Angleterre sur l’Ile de Wight où ils font édifier, en un temps record, l’Abbaye de Quarr. En tant que maître de chœur, Dom Mocquereau laisse la place à Dom Gajard en 1914 mais continue ses recherches.

En 1922 les moines peuvent rentrer à Solesmes.

Plus tard une collaboration efficace s’établit entre l’Abbaye et l’Institut Pontifical de Musique Sacrée à Rome. A partir de là les évolutions sont à l’image de notre époque, c’est-à-dire complexes :

  • Dom Cardine fit progresser l’étude des signes en travaillant sur une approche intellectuellement différente ; en laquelle un milieu para-universitaire – et très médiéviste – crût voir une opposition à Dom Gajard. Il s’en est suivi des développements et applications exagérés dans lesquelles les moines chercheurs de Solesmes ne se sont absolument pas reconnus : la soi-disant existence d’une « méthode de Solesmes » dont Dom Gajard aurait été l’auteur mais qui n’a jamais existé ; et une application caricaturale de certaines idées de Dom Cardine qui présentait celles-ci comme une opposition à Dom Gajard, ce qui était très exagéré.
  • Dom Claire travailla sur la modalité (les trames de l’harmonie grégorienne) mais comme l’attention générale est plutôt portée sur l’écriture des signes (sémiologie), cette question n’a pas été beaucoup considérée (c’est certainement une erreur collective !).
  • Il eut pour successeur Dom Saulnier, mais celui-ci finit par devenir professeur à l’Institut Pontifical de Musique Sacrée, et se fit moins connaître. D’autres moines, moins connus, furent aussi de grands contributeurs, mais sur des questions très spécialisées.

De nos jours le chant grégorien est très majoritairement pratiqué par les milieux traditionalistes selon le style de Dom Gajard, qui est le plus sûr lorsqu’il s’agit de garantir la cohésion entre le style liturgique de l’Eglise et la participation des fidèles. Ça n’est en revanche pas le cas de quelques autres styles issus de musicologues, qui promeuvent une interprétation rythmique et un style vocal qui exclue la participation des fidèles. Quelques tentatives d’insertion de style « médiévalisant » dans la liturgie d’aujourd’hui semblent tenues à bout de bras, mais n’aboutissent visiblement à pas grand-chose sinon quelques événements liturgiques occasionnels, parce que ce style est tout simplement inapplicable au chant de l’ordinaire pratiqué par les fidèles.